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REPORTAGE

"Combattre loin de chez soi" : enfin une exposition pour les soldats des colonies

Le musée de la Grande Guerre de Meaux consacre une nouvelle exposition à la participation de l'empire colonial français à la Première Guerre mondiale. À hauteur d'homme, le parcours de visite présente le quotidien des soldats venus d'Afrique, d'Indochine, de l'Océan Indien ou encore d'Océanie. Une exposition qui met à mal les clichés encore nombreux sur cette période et qui met en avant une histoire partagée.

Un uniforme de tirailleur sénégalais (1916-1918). La tenue est entièrement kaki sauf la capote de teinte bleu clair.
Un uniforme exposé au musée de la Grande Guerre de Meaux © Stéphanie Trouillard, France 24
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Un soldat d'origine africaine marche dans une rue, son barda sur la tête et son fusil dans le dos. Cette photographie a été choisie pour illustrer l'affiche de la nouvelle exposition du musée de la Grande Guerre de Meaux : "Combattre loin de chez soi". Elle a été prise le 14 mai 1917 dans le Haut-Rhin. "C'est un soldat malgache", explique Johanne Berlemont, responsable du service conservation du musée. "À l'époque, il fallait trois semaines de bateau depuis Madagascar pour arriver en France. On voit cet homme seul dans un village alsacien avec ses maisons à colombages et ses tuiles vernissées. Il y a cette notion de déracinement qu'on a voulu transmettre".

L'affiche de l'exposition "Combattre loin de chez soi" avec la photographie d'un tirailleur malgache traversant un village du Sundgau pour aller à Friesen (Haut-Rhin), le 14 mai 1917.
L'affiche de l'exposition "Combattre loin de chez soi" avec la photographie d'un tirailleur malgache traversant un village du Sundgau pour aller à Friesen (Haut-Rhin), le 14 mai 1917. © Stéphanie Trouillard, France 24

Ce tirailleur malgache, dont le nom est inconnu, représente les soldats et les travailleurs venus de l'Empire colonial pour soutenir l'effort de guerre entre 1914 et 1918. Lorsque la Grande Guerre éclate, la France puise dans son énorme réservoir d'hommes. L'Empire s'étend alors en Afrique, en Indochine, dans l'Océan Indien, en Océanie, sur la côte des Somalis (dans la zone actuelle de Djibouti) et dans les Antilles. Colonies et protectorats rassemblent une population de 41 millions d'habitants, en plus des quelque 40 millions de Français de métropole.

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Des combattants et des travailleurs

Au cours du conflit, ce sont ainsi 600 000 hommes (des indigènes et des Européens installés dans les colonies) qui ont combattu sur tous les fronts où est intervenue l'armée française, mais aussi 200 000 travailleurs coloniaux qui ont été engagés dans les usines, les mines ou encore les champs pour les besoins de la production de guerre. Dans une lettre datée d'aout 1914 et présentée dans l'exposition, Joseph Ranaivo, le fils d'un notable malgache d'Antananarivo, exprime sa joie à l'idée de servir la France : "Ayant l'honneur exceptionnel de pouvoir prouver mon attachement entier et ma plus profonde reconnaissance à la mère Patrie, je lui offre tout mon sang et le peu de courage que je possède".

Un uniforme de tirailleur sénégalais en couleur bleu horizon et un uniforme d'Indochinois de bataillon d'étape.
Un uniforme de tirailleur sénégalais en couleur bleu horizon et un uniforme d'Indochinois de bataillon d'étape. © Stéphanie Trouillard, France 24

Ce jeune homme qui a été tué dans la Somme en 1916 fait toutefois figure d'exception en comparaison de ses compatriotes d'origine plus modeste qui s'engageaient pour bénéficier de primes proposées par le gouverneur général. "Il y avait des engagés volontaires, mais il y avait aussi un recrutement forcé et une forme de pression. Ces recrutements pouvaient susciter des révoltes qui ont été brutalement réprimés", souligne ainsi Johanne Berlemont.

Des visions très stéréotypées

L'exposition du musée de la Grande Guerre s'attache ainsi à décrire la participation des soldats des colonies dans toute sa complexité et ses nuances. Elle n'hésite pas à montrer les clichés culturels de l'époque. "Vous avez ici une lettre d'une infirmière, Jeanne Varin, qui travaillait à l'hôpital de Contrexéville, dans les Vosges, où elle a soigné des tirailleurs sénégalais. Elle raconte à sa sœur ce choc des cultures et des modes de vie qui la perturbent. Elle reprend une représentation qui est très classique, celle du grand enfant qui est toujours un peu content. C'est le "Y'a bon" de la publicité Banania, des hommes gentils, mais un peu turbulents", explique l'historienne. "Ce type de documents correspond à la société de l'époque qui est marquée par la domination coloniale. Mais ce n'est pas le reflet de ce que nous pensons aujourd'hui. C'est notre rôle en tant que musée d'expliquer ce contexte".

Dans une autre vitrine, un objet emblématique des tirailleurs sénégalais, recrutés dans toute l'Afrique subsaharienne, est mis en lumière : le fameux coupe-coupe. Il témoigne de la vision ambivalente que les Européens ont des troupes noires. Si dans l'armée française, le coupe-coupe renvoie à leur combativité, chez les Allemands, il terrifie et fait écho à leur sauvagerie supposée. "Il y a des visions très stéréotypées qui sont appliquées à ces troupes", résume Johanne Berlemont.

Le coupe-coupe est un outil réglementaire des tirailleurs. Il est utilisé au cours des durs affrontements contribuant à établir la réputation combattive des troupes.
Le coupe-coupe est un outil réglementaire des tirailleurs. Il est utilisé au cours des durs affrontements contribuant à établir la réputation combattive des troupes. © Stéphanie Trouillard, France 24

Depuis plus 100 ans, nombreux sont ceux qui laissent également entendre que les soldats africains, principalement les tirailleurs sénégalais, ont été traités volontairement par les généraux comme de la "chair à canon" au nom "d'un impôt du sang". "Ce n'est pas du tout le cas. Les chiffres montrent que les taux de pertes étaient à peu près de 25 %, ce qui était quasiment équivalent à celui des hommes de l'infanterie française", répond la directrice de la conservation. "Quand un obus tombe, il ne choisit pas pour cible un homme qui serait racisé", précise-t-elle.

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Il est incontestable qu'un traitement particulier et moins favorable est appliqué à ces troupes par l'institution militaire : surveillance accrue du courrier, permissions limitées et inégalités en matière d'avancement et de commandement. Mais dans le même temps, le commandement décide aussi de retirer du front à tour de rôle les régiments coloniaux peu habitués aux conditions météorologiques européennes pendant la période la plus froide de l'année, entre novembre et avril. Des camps d'hivernage sont installés dans le sud de la France et en Afrique du Nord.

Pour renforcer l'attachement des combattants indigènes à la France, mais aussi pour contrer la propagande ennemie, les autorités facilitent également la pratique religieuse et le respect des coutumes. "À l'occasion de la fête de l'Aïd el-Kébir, qui tombe demain, 30 octobre, j'ai prescrit aux commandants de région de donner repos aux militaires indigènes musulmans, de les autoriser à faire la prière en commun et d'améliorer leur ordinaire dans des conditions habituelles", peut-on ainsi lire dans un Télégramme du ministère de la Guerre daté de 1914.

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Le télégramme du ministre de la Guerre autorisant la prière en commun aux musulmans à l'occasion de l'Aïd el-Kébir.
Le télégramme du ministre de la Guerre autorisant la prière en commun aux musulmans à l'occasion de l'Aïd el-Kébir. © Stéphanie Trouillard, France 24

Une fracture entre les colonies et la métropole

Au lendemain de la victoire, la France mène envers les soldats des colonies "une politique des égards". "Il sont présents lors du défilé de la victoire le 14 juillet 1919 aux côtés des autres combattants français. Un monument est également érigé à Reims aux héros de l'Armée noire", détaille Johanne Berlemont. L'exposition se termine en montrant que la Grande Guerre a été un moment pendant lequel le lien entre la France et son empire s'est resserré. Mais à la fin de la guerre les aspirations sociales des peuples colonisés se politisent. Ils souhaitent établir des relations fondées désormais sur l'égalité et le respect : "La guerre rapproche et permet une meilleure connaissance de l'Empire pour la métropole, mais elle constitue aussi une fracture pour ces hommes qui ont combattu dans une guerre lointaine. Les promesses de reconnaissance de leur citoyenneté n'ont pas été tenues".

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Des stèles funéraires de soldats originaires des colonies morts lors de la Première Guerre mondiale.
Des stèles funéraires de soldats originaires des colonies morts lors de la Première Guerre mondiale. © Stéphanie Trouillard, France 24

Dans les décennies qui suivent, la participation des troupes originaires des colonies influence les relations avec la métropole jusqu'aux revendications d'indépendances. Cette histoire est toujours éminemment contemporaine dans une France où les descendants de ces soldats constituent une part importante de la population. Le musée de la Grande Guerre avait déjà une partie consacrée à ce sujet dans son parcours permanent. Mais pour la directrice Audrey Chaix, le besoin se faisait sentir d'organiser un éclairage plus conséquent : "C'est une thématique qui revenait régulièrement. Nos visiteurs nous en parlent souvent. C'était donc important de leur rendre hommage et d'aller plus loin en battant en brèche les préjugés".

"Il n'y a pas eu beaucoup d'expositions à ce sujet", ajoute Johanne Berlemont. "Cela a une vraie utilité sociale de reconnaître la participation des troupes de l'Empire à la Grande Guerre. Mais nous ne sommes pas là pour nous repentir. En tant qu'historiens, nous sommes là pour expliquer et raconter l'engagement de ces hommes qui ont traversé les mers, participé à des combats et dont l'action a souvent été déterminante".

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